vendredi 29 décembre 2017

Ridiculum vitae, Manifeste contre la poésie affadie au Théâtre de La Passerelle



Une nouvelle fois, le metteur en scène Michel Bruzat met en scène un auteur contemporain à Limoges (avant Avignon l’été prochain): le poète belge Jean-Pierre Verheggen ; et avec Marie Thomas, ça dépote.

Notons pour commencer le double hommage rendu dans le programme du théâtre de La Passerelle : à Jack Ralite, homme de convictions et de culture, et à Pierre Debauche, celui qui dynamisa le théâtre en Limousin au début des années 1980 et y créa le Festival des francophonies. Nul doute qu’ils se seraient sentis bien dans cette salle disposée comme un cabaret chaleureux tout entier dévoué au plaisir des mots, c’est-à-dire à la poésie, la vraie, celle qui ose, avec deux artistes de grand talent : Marie Thomas, la comédienne, et Sébastien Mesnil, le musicien.
Tout commence par la satire : celle d’une « officielle » – Ségolène Lagarde –, comme on en connaît tant (on a tout de suite des noms en tête…), venue inaugurer le théâtre comme on inaugure un rond-point routier ou une nouvelle échelle des pompiers, peu de culture et la langue qui fourche, puisque ici, les mots ne veulent rien dire, n’étant qu’au service de la démagogie. C’est le comice agricole de Flaubert, c’est le sous-préfet aux champs d’Alphonse Daudet, c’est ce qui a balayé toute une génération de femmes et d’hommes politiques lors des dernières élections législatives, car les Français n’en pouvaient plus. Ridiculum vitae, déjà.
Et puis Marie Thomas nous embarque avec les mots et les phrases manifestes de Jean-Pierre Verheggen dont on se souvient qu’il rejoignit la revue TXT – qui prônait alors la rupture – fondée en 1969 par Christian Prigent et Jean-Luc Steinmetz à Rennes. Accompagnée tout au long du spectacle par un Sébastien Mesnil au meilleur de sa forme, jouant des claviers, des percussions, chantant, expirant au besoin un air salvateur (la poésie est un souffle), et par les lumières toujours pertinentes et subtiles de Franck Roncière, Marie Thomas, habillée en rouge par Dolores Alvez Bruzat, joue de sa voix chaude et rocailleuse et de son corps souple et plat comme celui de l’Olive de Popeye (d’autres y ont vu Pascale Ogier), de ce corps sensuel, pour délivrer le message essentiel de cette soirée : la poésie est liberté, puissance émancipatrice, elle doit tout emporter sur son passage, et surtout, ne pas être l’apanage des clercs en poésie, aussi ennuyeux que leurs vers rabougris, ou des universitaires avec leurs épuisantes explications de texte et leurs termes savants et abscons. On songe évidemment à la Préface de Léo Ferré : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe/Elle a cependant le privilège de la distinction/Elle ne fréquente pas les mots mal famés, elle les ignore ». Alors, forcément, on croise Rimbaud, on croise Artaud, mais aussi Malraux, on cite Verlaine et Céline, on pense à Villon, à Michaux et à Rabelais, pour le meilleur et pour le pire, on s’esclaffe et on s’émeut au flux incessant, inventif et référencé de Verheggen, né du cœur et du corps, du sexe, de la bidoche, de la viande, des humeurs des humains. La poésie est jeu de mots et de vie, elle est libertaire et toujours innovante, et l’entendre ici aussi bien dite et mise en scène, dans une telle osmose du fond et de la forme, procure un grand et intense plaisir.


Laurent Bourdelas (29.12.2017)

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